Écrire, c’est changer le signe des choses, transformer la douleur passée en jouissance présente, faire de l’art avec la mort. Je ne valorise absolument pas la douleur, je ne suis ni doloriste ni saint-sulpicien. Seule l’écriture, cet après-coup inouï, peut la sublimer en joie, c’est-à-dire lui donner un sens. L’écriture n’est jamais là au moment où les choses se passent, elle vient après, bien après parfois.
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Il faut bien se mettre ailleurs. La littérature est toujours ailleurs, elle parle du monde qui lui est contemporain en ne parlant pas de lui. C’est la leçon de Flaubert. Si la littérature parle de façon représentative du monde, elle relève du discours journalistique ou sociologique et c’est la grande faiblesse de la littérature américaine après Faulkner. La littérature est l’un des derniers lieux où l’on peut se permettre de n’être contemporain que de l’homme. Pour citer Mallarmé encore une fois: « Mal inspiré celui qui se crierait son propre contemporain. »
Le Roi vient quand il veut, Pierre Michon, Albin Michel (2007 et 2016), pages 186/187.