Il y a un temps pour vivre — et il y a un temps où il ne reste plus guère au vivant qu’à tenter de donner un sens à son vécu. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre au fur et à mesure que je me retirais dans l’écriture, disposant, pour singulière fortune, de la somme confuse des expériences de mon enfance et de ma jeunesse et me donnant pour tâche de les raconter non pour ce qu’elles furent, mais d’en reconnaître toute la puissance symbolique — si bien que l’écriture, à travers ce procès, se risquait à doubler l’expérience première et naïve (celle de l’enfant, celle de l’adolescent) d’un perdurable et multiple reflet constamment poursuivi dans le miroir des signes. Le texte devenait alors le lieu d’une rencontre fondamentalement close et pourtant toujours inachevée avec un moi qui ne cessait de produire ses significations comme autant de possibles, dans l’étonnement d’être — et d’être encore et de se révéler à soi, inépuisablement, parmi les constellations et les métaphores.
Claude Louis-Combet, Le goût du martyre, paru dans Les Lettres françaises, juillet-août 1991, puis dans Miroirs du texte, Deyrolle Éditeur (1995), page 11.