Ça, depuis ce matin, les hommages, ça tombe comme à Gravelotte. Je sais bien, avec Brassens, que tous les morts sont de braves types et qu’il est d’usage, dans ces cas, d’appuyer un peu sur l’épithète (comme il est d’usage d’encenser le retraité autour de gobelets en plastique remplis de Blanquette de Limoux), mais quand même… Cette fois, les nécrologues se surpassent. (Parenthèse : notez que la différence essentielle entre la nécrologie et le discours d’adieu au senior fourbu, c’est que, dans le premier cas, on n’est pas obligé de se cotiser pour acheter la canne à pêche ou les boules de pétanque.)
France Culture consacre vingt-quatre heures non stop au héros sud-africain. Z’ont du bosser toute la nuit pour faire l’inventaire d’une vie, prendre des rendez-vous, passer des coups de fil à ceux qui l’ont connu (ou qui connaissent quelqu’un qui connaît quelqu’un qui l’a bien connu), fouiller dans tous les coins, tous les tiroirs, aller renifler toutes les mains qu’il a serrées au cas où quelques-unes ne sentiraient pas très bon, bref, du vrai travail d’investigation. Eh bien, z’ont rien trouvé. Chez Mandela, tout était lisse, propre, net, sans aspérité autre que celle de sa haute et noble détermination. Le pli des pantalons était nickel et les cols de chemise irréprochables, toujours repassés de frais. Oui, bon, d’accord, s’agissant des mains ci-dessus évoquées… OK… y en a bien eu deux ou trois d’un peu gercées par le sang dans lequel elles avaient trempé. Mais… ça ne disqualifie pas le bonhomme. Faut bien comprendre que tout ça…, c’est politique et compagnie, pragmatisme et raison d’état, voire simple fidélité à d’anciens soutiens qu’il n’avait pas le loisir de choisir quand il croupissait sur son île. Mandela était un type « comme ça », point barre.
Qu’on ne se méprenne pas sur le ton que je prends. Loin de moi l’intention de me désolidariser du concert de louanges dont le frais défunt est l’auditeur frustré. Bien au contraire. Simplement, je me souviens que dans les années soixante-dix, je tenais déjà Mandela en haute estime, mais je me sentais alors plus… isolé.
Eh bien j’avais tort. Je découvre depuis ce matin qu’il bénéficiait dès le début d’appuis et de soutien solides, fidèles, inconditionnels. La liste des laudateurs qui se succèdent sur les ondes contient des noms qui ne laissent de me surprendre. Des gens qui avaient bien caché leur jeu et dont j’ignorais qu’ils nourrissaient depuis longtemps, au fond de leur cœur, une admiration sans borne, voire une véritable vénération pour le leader de l’ANC. A tel point que j’ai même cru à un mirage hertzien, à un piratage de France Culture par les « Anonymous » quand j’ai entendu la voix de l’exécrable Michelle Ben Ali… pardon… Alliot-Marie évoquer son adhésion précoce aux valeurs du jeune Thembu. Saviez-vous qu’elle s’était rendue au siège de l’ANC en un temps où celui-ci était encore « très verrouillé » (sic) ? A sa manière – je dis bien « à sa manière » – Michelle Alliot-Marie fut une sœur d’armes du militant, une sorte de Louise Michel péroxydée.
Ça vous en bouche un coin, non ? Evidemment, si vous ne vous intéressez qu’aux larges coups de crayons de la Grande Histoire, c’est le genre d’héroïsme dont vos mémoires n’ont pas gardé la trace. Il est vrai aussi que la discrétion, la pudeur même dont certains ont entouré pendant si longtemps leur engagement aux côtés de Madiba avaient de quoi circonvenir les plus vigilants d’entre les observateurs. Aujourd’hui, ils peuvent enfin parler à visage découvert et révéler les efforts inlassables qu’ils ont déployés en sous-main pour porter l’estocade au méchant apartheid et hâter l’élargissement du héros de la nation arc-en-ciel. Efforts couronnés de succès puisqu’il ne leur aura fallu que vingt-sept ans pour y parvenir.
Mais passons. Car mon intention n’était pas de rendre à Mandela un hommage supplémentaire. Ceux dont il est la cible sont en tout point parfaits et y joindre ma petite voix serait superflu. Non, mon idée de départ – à l’expression de laquelle je vais devoir surseoir pour cause de trop long préambule – était d’évoquer les modalités de construction des mythes et des héros de l’Histoire. Et je me suis souvenu que j’avais déjà traité le dossier sur le présent espace en… 2011. Ce billet, qui sera à peine remanié pour les besoins de la cause, commençait ainsi :
Quand même… le monde est bien fait, non ? Moi, je trouve. N’en déplaise à Voltaire, Leibniz avait raison : “tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles”.
Regardez autour de vous et vous verrez que si le monde (brossé à grands traits) est constitué d’une part des riches et d’autre part des pauvres (les classes dites “moyennes”, ventre mou de l’humanité, sont une calamité et une menace permanente que toute économie libérale un peu sensée s’emploie à réduire comme peau de chagrin), les uns et les autres jouissent de la même félicité. Et même, si j’osais, je dirais que les pauvres sont beaucoup mieux lotis que les riches. Si, si. Et nous l’allons montrer tout à l’heure… (c’est-à-dire demain. A suivre).
Cowboy
On va peut-être re-rebaptiser la place de Provence à Vitrolles…
Bonne idée ! Et on pourrait même inviter Catherine Mégret à fixer la plaque.