Ma grand-mère était une langue de vipère, fausse comme un jeton. Mais le sourire poujadiste (elle était dans le commerce) derrière lequel elle cachait sa perfidie lui lacérait la trogne comme un remords d’honnêteté. Mon père était fin comme du gros sel et avait une gueule de bandit calabrais. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait préféré morigéner les gens ou les tancer vertement ; faute de disposer du lexique ad hoc, il leur mettait simplement sa main dans la gueule. Et pour ne pas la voir venir, fallait vraiment s’appeler Ray Charles ou Gilbert Montagné.
Elevé dans cet environnement, j’aurais tendance à penser qu’on a la gueule qu’on mérite. Et après tout, “avoir la gueule de l’emploi”, c’est pas moi qui ai inventé l’expression. De là à tomber dans la morphopsychologie et à devenir un adepte de Lombroso, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Car il y a des contre-exemples : ce n’est pas lui manquer de respect de dire d’Albert Jacquard qu’il n’a pas un physique de jeune premier. Il n’empêche que c’est une belle âme qu’on a tôt fait de découvrir en le lisant ou en l’écoutant.
De ces observations contradictoires, il ressort qu’on a avant tout la gueule qu’on peut, celle dont on a hérité. En tout cas, je voudrais le croire. Vraiment.
Pourtant, on ne m’enlèvera pas de l’esprit que, d’une certaine façon, on la façonne sa gueule, comme on façonne son corps dans les salles de sport, les piscines ou sur les stades. Le résultat dépend du sport qu’on pratique. La natation vous affûte en torpille, l’haltérophilie vous transforme en culbuto ; le tennis vous fait un bras de danseuse et l’autre de bûcheron jurassien. Le vélo, étrangement, vous arrache les poils des jambes tandis que le rugby vous attache directement l’oreille à l’épaule. J’en passe.
Pour la gueule, m’est avis que c’est un peu pareil. Dans un regard, dans le dessin des lèvres, il me semble que se faufile un peu du dedans. A force d’exprimer du bon, du gentil, du généreux, les traits prennent le pli. A l’inverse… Bref, on me voit venir. D’autant plus que j’en ai placé une, de trogne, en haut à gauche, qui sans flatter son propriétaire, en offre, convenons-en, une image assez fidèle.
Eh bien –et croyez que l’aveu me coûte– la première fois où j’ai vu ce type, je ne l’ai pas trouvé sympathique. Il n’avait pas ouvert la bouche que je me suis dit –je m’en souviens très bien : “Toi, tu vas sortir une connerie ou une saloperie”. Il n’a pas tranché et a sorti les deux dans la même phrase. A compter de ce jour, il ne m’a plus déçu.
Aujourd’hui, il s’est surpassé. J’étais en voiture, j’écoutais la radio sans l’entendre (ou l’inverse), quand sa dernière trouvaille m’a sorti de ma torpeur en plein embouteillage. Il s’agit d’une proposition de loi. Visant à (je cite) “permettre à des salariés en arrêt-maladie de travailler” ou, plus élégamment, “de poursuivre leur mission”. “Un nouveau droit pour le salarié” (sic) Ben voyons ! En voilà une idée qu’elle est bonne ! Non ? Rendre au malade sa dignité d’exploité. Non, ça, il ne le dit pas. Mais c’est vrai pourtant. Du jour au lendemain, par le fait d’une simple ordonnance établie autoritairement, le malade est exclu du monde de l’entreprise. Un véritable ostracisme qui n’avait que trop duré.
Sans compter les effets positifs qu’une telle mesure pourrait avoir sur la santé. Le malade, c’est bien connu, s’écoute trop. Il tend à se replier sur son affection. Pas bon, ça, pas bon. D’autant plus que quelle que soit la pathologie, c’est bien le diable si elle vous met sur le flan 24 heures sur 24. Il y a des moments de rémission dont l’entreprise doit pouvoir profiter. Entre deux chimio, à part dégueuler, que fait le cancéreux ? Je vous le demande.
“Le télétravail, un dispositif moderne que nous devons développer” (re-sic). Tu l’as dit bouffi, il faut vivre avec son temps, diantre. D’ailleurs, entre nous, les salariés bien portants ne pourraient-ils pas eux aussi, être incités à utiliser l’outil électronique à la maison pour augmenter leur productivité ? Serge Dassault le disait hier sur ce blog, les travailleurs chinois dorment sur leur lieu de travail (faute de connexion domestique à haut débit sans doute). Une concurrence déloyale que le travailleur français doit pouvoir compenser par la technologie.
“Papa, reviens. Explique au monsieur !”
Cowboy
PS :
“Avez-vous une fois seul’ment
Songé que la haine ça mine
Alors que l’amour ça détend
Que ça rend jeune et beau tout l’temps
Mais bien sûr c’est un gros péché.Vous n’aurez pas ma fleur,
Celle qui me pousse à l’intérieur,
Fleur cérébrale et fleur de coeur,
Ma fleur…”“Ma fleur”, François Béranger.